Là-bas, l’île de la Réunion.
Les orchidées sont rares dans l’île ; il faut beaucoup de patience et d’amour pour les débusquer au plus profond des forêts tropicales. Du moins pour les fleurs sauvages, papillons blanc nacré accrochés en grappes au tronc des arbres séculaires ; celles que l’on cueille traditionnellement pour en faire un bouquet de mariée.
D’autres plus complexes, plus sophistiquées, étonnent par la variété chatoyante de leur forme, les demi-tons inouïs de leurs corolles. Elles ressemblent à peine aux espèces maintenant très courantes en pays tempérés, celles-là piquées à l’ombre des jardineries, dans des pots vernissés, violine, blanc, jaune ; aux couleurs de leurs pétales délicatement arrondis.
L’une d’entre elles, là-bas dans cette île lointaine, le « Sabot de Vénus », barre pour moi la route de tout l’imaginaire convenu lié aux autres variétés d’orchidées, pour cristalliser en son cœur palpitant, ouvert aux pluies et aux insectes, des centaines de souvenirs. Végétal animé, ses deux pétales s’ouvrant en croix comme bras accueillants et sa voile blanche aux fibres légères et transparentes, tout fait penser aux veines d’un poignet d’enfant, gravé en son milieu d’une blessure un peu trop rouge que rien ne peut cicatriser.
Inaltérable beauté de Vénus ; sabot, je ne sais. Le mot manque beaucoup trop de magie, évoquant plutôt les lourdes danses de nos campagnes d’où les fées ont disparu, oubliant au passage leurs souliers mal ajustés ! Bref… cet organe vivant et coloré est difficile d’approche, de conquête impossible. Une sorte de fierté hautaine attire, en même temps qu’elle éloigne.
Cela je l’ai appris, comme de tant de fragiles relations îliennes, maladroitement heurtées ou blessées aussitôt que nouées… Une fierté à distance ! Ne connaissant des fleurs que la croissance facile des jacinthes, des dahlias ou des plantes de rocaille, nous fûmes trop souvent au pays des orchidées d’indélicats jardiniers inaptes à faire croître des plants étrangers à notre horizon limité.
C’est bien cela : derrière la fleur emblématique et provocante des flamboyants, derrière l’alignement des fougères arborescentes, il faut se mêler en silence à la subtile polychromie des orchidées ; et surtout suivre longtemps du regard les futurs amis retenus à distance par d’invisibles lianes.
Les « Sabots de Vénus » ne fleurissent pas plus chaque année que les personnes de « là-bas » ne franchissent en hésitant le seuil de nos maisons d’étrangers.
Curieusement, il existe partout des spécialistes en tout : éleveurs de chiens, dresseurs d’ours, montreurs de marionnettes, tous habitués à la longue patience de techniques précises, respectant leurs objets, leurs partenaires. Mais des spécialistes en humanité capables de deviner, de respecter l’autre, d’approcher la fragilité qu’il recèle en son cœur comme le cœur fragile des orchidées, où peut-on les rencontrer ? Pourtant la splendeur d’une hymne liturgique nous le rappelle :
« Vous êtes l’arbre en sommeil et en fleurs,
jouez pour Dieu des branches et du vent,
jouez pour Dieu des racines cachées. »
Annick Rousseau
” Si les fleurs sont splendides, la conclusion de l’article l’est tout autant. l’âme qui cherche
un spécialiste en humanité est aussi délicate que les fleurs admirées.”